- C’est qui un ingénieur ?
Une définition assez complète de l’ingénieur peut être trouvée sur Wikipédia :
« Un ingénieur est un professionnel concevant des projets, si possible, par des moyens novateurs, et dirigeant la réalisation et la mise en œuvre de l’ensemble : produits, systèmes ou services impliquant de résoudre des problèmes techniques complexes. Il crée, il conçoit, il innove dans plusieurs domaines tout en prenant en compte des facteurs sociaux, environnementaux et économiques. Il lui faut pour cela, non seulement des connaissances techniques, mais aussi économiques, sociales, environnementales et humaines reposant sur une solide culture scientifique et générale. »
Le mot ingénieur trouve son origine étymologique dans le mot engin puisque l’ingénieur initialement était celui qui concevait, construisait et faisait fonctionner des engins de guerre. Donc un ingénieur tout en étant ingénieux et innovateur doit être dans l’action au service de sa communauté et son pays. En arabe le terme Muhandis viens du persan Hindaz qui signifie mesure et limite sachant que Hindis pour un lion est le plus audacieux et pour un homme est l’expert qui a une longue vision.
Malheureusement pendant les années de formation et d’expérience professionnelle, on perd souvent ces sens intrinsèques au mot tels que : L’audace, la mesure, la longue vision et les préoccupations sociales, environnementale et économique pour ne garder que le souci micro-économique de ce qu’un ami à moi appelle la vitamine V : Villa, Voiture, Voyage, Vêtements…etc. De part même sa formation, l’ingénieur développe une forte tendance vers l’individualisme négatif ce qui impacte sur le long terme sa condition.
2. Formation des ingénieurs au Maroc
Au Maroc, le nombre des ingénieurs était estimé en 2006 à 30000 ingénieurs avec une cadence de formation de 1500 par an. En 2006 il y a eu le lancement de l’initiative 10000 ingénieurs par an toute discipline confondues Cette initiative a soulevé beaucoup de critiques et notamment des deux représentant des ingénieurs au Maroc le SNIM et l’UNIM en plus des associations de lauréats des écoles d’ingénieurs. Une pétition a même été lancé en 2013 contre cette initiative et avait recueillis presque 1400 signatures.
Maintenant la situation en 2015/2016 est que 37 des institutions supérieures forment pour l’obtention d’un diplôme d’ingénieurs sur 120 spécialités options ou voies d’approfondissement avec une capacité globale prévue de 26.000 ingénieurs. Il est à noter qu’il y a également une initiative 25.000 ingénieurs qui n’a pas été annoncé publiquement mais qui est évoqué dans un circulaire du gouvernement sur l’offshoring. Ceci sans oublier les ingénieurs marocains formés dans des écoles étrangères en France, Belgique, Pays Bas, Ukraine, Russie, Canada, Etats Unis et partout dans le monde.
On peut en déduire que le nombre d’ingénieurs actuellement se rapproche du chiffre 120.000 ingénieurs et qui va presque doubler en 4 ans pour arriver à 220.000 ingénieurs.
3. Etat des lieux
C’est un chiffre colossal et qui impose pas mal de questions et qui pose pas mal de problèmes.
– Comment peut on risquer de créer ce nombre d’ingénieur quand on a une économie qui n’arrive à créer que 33.000 d’emploi net (chiffre de 2015) tout emploi confondu? La plupart de ces emplois sont dans les services et notamment le tourisme et le transport qui sont des secteurs qui emploient faiblement les ingénieurs. Notre économie reste très fluctuante dans la mesure ou même les années fastes en emploi sont réalisées grâces aux précipitations avec majoritairement des emplois saisonnier dans le milieu rural ou grâce à des politiques court-termiste et conjoncturelle comme l’offshoring.
– Quelle est la qualité actuelle de la formation et de l’encadrement des ingénieurs vu que la plupart des établissements ont doublé voire triplé d’effectifs sans évolution majeure de leurs corps enseignant et de leur infrastructures. Les établissements nouvellement crée sont sous-équipé ou faiblement dotés en ressources ce qui explique les grèves à répétition qu’ont connus plusieurs établissement de formation des ingénieurs ces dernières années (ENSIAS, EHTP, ENSEM, et plusieurs ENSAs dont celle de Marrakech, Safi et Tanger)
– Même pour les ingénieurs qui ont trouvé un emploi, un risque important de sous emploi des ingénieurs existe. Ces 5 dernières années nous avons constaté avec stupeur des ingénieurs passer les concours CPR ou ENS, des ingénieurs qui travaillent dans des Fast Food, ou des ingénieurs qui cachent leur chômage en s’inscrivant en Doctorat en travaillant sous contrat Anapec ou en faisant des stages (rémunérés ou non). D’autres choisissent même de quitter définitivement le pays pour aller servir dans d’autres cieux ce qui est une perte importante vu le budget consenti par l’état pour la formation des ingénieurs.
En plus de ces constats, il faut noter que sans organisation de la profession, on se retrouve souvent avec des ingénieurs qui enfreignent les règles de l’éthique professionnelle ou des acteurs qui se donnent le droit de prendre des décisions techniques ce qui donne des effondrement de structures avec des victimes comme on a vu récemment.
4. Représentativité des ingénieurs
Face à ces constats la représentation des ingénieurs reste très en deçà des besoins et attentes. La première mention du métier d’ingénieur au Maroc dans les temps modernes date de 1904 : Le génie est représenté dans l’armée marocaine par un petit corps d’ingénieurs (mohendisîn), dont la fonction principale et à peu près unique est de précéder les corps expéditionnaires et de choisir l’emplacement des campements. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, p. 87).
La création du premier organe représentant les ingénieurs date de 1971 avec la création de l’UNIM (Union Marocaine des Ingénieurs Marocains) qui est resté actif jusqu’à 1994. Depuis il est passé par une longue période d’inactivité jusqu’à 2006 ou il y a eu un regain d’activité dans le corps des ingénieurs qui a conduit à la création du SNIM (Syndicat National des Ingénieurs Marocains) en 2007 et à l’organisation du 6ème congrès de l’UNIM. Ces deux entités ont milité activement pour modifier le statut des ingénieurs dans la fonction publique, pour revoir le programme 10000 ingénieurs et pour résoudre le problème de chômage des ingénieurs. Ces efforts ont permis de soutenir la cause des ingénieurs au travers de conférences, de réunion avec des ministres du gouvernement ou des grèves et sit-ins mais restent loin des enjeux de l’ingénierie nationale. A cause de cette faiblesse des milliers d’ingénieurs au Maroc ne connaissent même pas ces deux structures ou se demandent à quoi elle servent au juste.
En plus de ces deux entités, il y a les associations des lauréats des écoles d’ingénieurs, les organes d’ingénieurs dans les partis politiques ainsi que les sections des syndicats nationaux ou les ingénieurs sont actifs. Il y a même eu la création de la coordination des ingénieurs en chômage en 2012. Toutes ces entités souffrent de capacités réduites et d’activité fluctuante en plus du fait qu’aucune ne représente de manière unique tous les ingénieurs ni ne possède ce droit par la force de la loi.
5. Vers un Ordre des Ingénieurs Marocains
Tous ces constats doivent nous pousser à réfléchir à l’organisation de la profession pour garantir les droits et assumer les devoirs des ingénieurs. Cette organisation permettra d’avoir des ingénieurs qui sont animé par une mission pour leur pays et qui respectent l’éthique et l’engagement professionnel et qui contribuent activement et positivement au développement global.
De telles organisations existent partout dans le monde depuis des dizaines d’années avec des ordres qui datent de plus de 60 ans comme celui de l’Egypte(1946) avec presque 500 000 ingénieurs ou ceux encore plus récent comme celui de l’Arabie Saoudite (2002). mais ont pour la plupart (comme en Jordanie ou l’ordre est une vrai institution d’état) des structures dédiés et des locaux imposants avec des centaines d’employés et surtout une panoplie de services au profit des ingénieurs et futurs ingénieurs.
Voici une liste d’organisations qui organisent le métier d’ingénierie dans plusieurs pays similaires ou différents :
- Egyptian Engineers Syndicate https://eea.org.eg/ ~ 470 000 ingénieurs
- Ordre des Ingénieurs Tunisiens https://www.oit.org.tn/ ~60 000 ingénieurs
- Saudi Engineering Council https://saudieng.sa/ ~200 000 ingénieurs
- Jordan Engineers Association https://www.jea.org.jo/en/ ~133 000 ingénieurs
- Ordre des Ingénieur Conseil du Mali https://www.oicm.ml/
- Ordre des ingéneiurs du Québec https://www.oiq.qc.ca/ ~60000 ingénieurs
- Engineering Council UK : httpss://www.engc.org.uk/ ~222000 ingénieurs
Ces organisations présentent plusieurs services à leurs adhérents dont certains en ligne comme :
- Enregistrement au tableau/registre
- Formations et coaching
- Stages et emplois
- Assurances personnelles (Santé, Habitations..etc)
- Assurances professionnelles
- Retraites et prévoyance
- Clubs et fondations
Dans le prochain article, je vais proposer un roadmap pour atteindre cet objectif ainsi que des mesures concrètes pour le réaliser.
Mouhsine LAKHDISSI PhD, Eng
Technology Specialist, International Consultant and Keynote Speaker, Entreprise Architect, Entrepreneur