Article publié le 17 août 2016 sur le compte LinkedIn de l’auteur
Je présente dans ce deuxième article (le 1er article peut être lu ici) mon point de vue et mes propositions qui restent subjectifs et qui sont inspirées de mon humble expérience étant ancien président d’une association d’ingénieurs (l’AIENSIAS), ancien président du comité administratif du SNIM et membre de l’UNIM congressiste lors du 6ème congrès de celle ci. J’ai également eu des contacts avec les ordres dans d’autres pays comme le Canada et l’Arabie Saoudite.
De part cette expérience je dois dire que pour réussir toute stratégie en vue de l’organisation du métier et la construction de l’ordre on doit d’abord passer par l’unification des efforts et l’abnégation au delà et au dessus de toute appartenance politique ou idéologique. Je ne parle pas ici de l’unification organisationnelle qui est difficile et restera un voeux pieux mais l’unification dans l’action sur les sujets de consensus. Ceci est valable pour l’UNIM et le SNIM mais également pour les associations de lauréats et les autres association d’ingénieurs.
Pourquoi a-t-on besoin d’un ordre pour les ingénieurs?
Avant d’avancer dans les détails des principes et proposition je reviens sur le pourquoi de l’ordre. Plusieurs avis négatifs sont émis par rapport à l’organisation du métier et qui puisent souvent dans les arguments suivants:
- L’ordre n’a d’intérêt que pour les professions libérales (tels que les médecins, pharmaciens, architectes ou topographes…etc) puisque ces métiers ne sont pas régis par des statuts existants (Statut de la fonction publique ou code de travail)
- Un ordre est une manière de limiter le nombre de personnes qui accèdent au titre d’ingénieurs en installant un corporatisme qui va à l’encontre des ambitions des jeunes et du pays et qui est contradictoire avec les principes d’égalité et de liberté.
- L’ordre va dans le sens de la revendication et du contrôle sachant que l’économie marocaine a besoin d’ingénieurs actifs et productifs et pas d’ingénieurs syndicalisés
- La pratique d’ingénierie au Maroc est différente des autres pays notamment anglophone ou plus développés et donc il ne faut pas se référer à eux.
- Il est trop tard pour parler d’ordre vu que des organisations, une logique de formation et des pratiques sont déjà en place et ce serait difficile voire impossible de les bousculer.
Pour toutes ces personnes, j’ai fait exprès de présenter les expériences d’autres pays dans le 1er article. Ces expériences démontrent que :
- Il y a des ordres très anciens (Egypte et Grande Bretagne) et d’autres assez nouveaux (Tunisie et Arabie Saoudite).
- Il y a des organisations dans des pays anglophones (Jordanie, Egypte et Arabie Saoudite) et d’autres dans des pays francophone (Québec/Canada, Tunisie et Mali).
- Il y a une telle organisation du métier aussi bien dans des pays proches du Maroc géographiquement et culturellement (Tunisie) que politiquement (Jordanie et Arabie Saoudite) et économiquement (Tunisie et Jordanie).
- Dans tous ces pays l’ordre gère les métiers libéraux mais également les corps d’ingénieurs dans l’administration publique ou dans le privé sans qu’il devienne une corporation qui limite l’accès (par la formation ou autre) au métier d’ingénieur.
- Il faut noter également que dans la plupart des cas, l’ordre deviens une force de proposition majeure pour le pays tout en assurant la protection du métier, l’amélioration de la qualité de la formation et la diffusion des meilleures pratiques
- L’ordre joue également le rôle d’un fournisseur de services pour les ingénieurs au travers de services sociaux comme la retraite, l’assurance maladie, les projets immobiliers et les clubs ainsi que dans le domaine de la formation ce qui est un support important autant pour les ingénieurs que pour l’état.
Principes de l’ordre
Je vais énumérer ici quelques principes directeurs pour assurer la construction d’un ordre fort et cohérent :
– Participation des différents acteurs représentants réellement et de manière effective les ingénieurs aussi bien dans la réflexion que dans l’action. Maintenant l’ordre ne doit appartenir à personne ni à aucun acteur en particulier et ne doit pas exclure la cohabitation de tous les représentants des ingénieurs.
– Indépendance idéologique, financière et opérationnelle des partis politiques et des syndicats. Ceci n’implique pas une indépendance des membres mais on doit apprendre à laisser de coté nos casquettes politiques pour unifier nos efforts sur tout ce qui constitue l’intérêt de l’ingénieur. Certes, c’est difficile mais je crois que si l’ingénieur est par nature plus même de faire montre de neutralité et d’impartialité .
– Indépendance politique, financière et opérationnelle de l’état (ministères ou autres organes gouvernementale) même s’il est commun d’avoir un interlocuteur privilégié au niveau d’un ministère. Au Maroc, il y a deux entité au sein du Ministère de l’Equipement et des Transports et au niveau du Secrétariat Général du Gouvernement qui se chargent de la relation et de l’organisation des professions.
– L’ordre doit être l’interlocuteur principal des autorités publiques sur les sujets afférents à l’organisation du métier sans exclure l’implications des syndicats et associations des ingénieurs.
– L’ordre doit agir de manière équilibrée pour défendre les droits et exiger les devoirs des ingénieurs. Il doit être fief de revendication et force de proposition. Il ne faut pas oublier que ces dernières années beaucoup de décisions concernant la formation des ingénieurs ou l’organisation du métier ont été prises sans aucune consultation ou participation des représentants des ingénieurs. La dernière en date est la fusion des ENSA, FST et EST dans des écoles polytechniques qui a été prise dans la hâte, sans aucune étude la justifiant et sans implication aucune des associations ou syndicat. La revendication est souvent la seule garantie pour éviter des décisions on ne peut plus désastreuses. Il faut savoir rester vigilent car les politiques publiques sont des fois infondées, court-termiste ou préférentiels.
Passons maintenant aux 10 propositions du roadmap
1- Créer une taskforce (équipe dédiée) d’ici fin 2016 ou juste après le congrès du SNIM pour préparer la mise en place de l’ordre. Cette équipe doit être constituée des différentes parties prenantes avec comme seul objectif et ordre du jour: l’ordre des ingénieurs. L’équipe doit disposer d’une personne permanente au moins.
2- Définir une timeline sur 2 à 3 ans pour l’instauration de l’ordre ce qui est largement suffisant pour préparer les lois, les faire passer par le long processus législatif et préparer le corps des ingénieurs à ce changement majeur. En somme, se fixer comme objectif un Ordre des Ingénieurs opérationnel en 2020.
3- Faire un benchmark approfondi des ordres d’ingénieurs dans les autres pays et des ordres existants au Maroc (Ordre des Médecins, Ordre des Topographes, Ordre des Architectes…etc) notamment sur l’aspect légal mais également sur la démarche, l’organisation, le fonctionnement et les services offerts.
4- Doter cette équipe d’un budget pour fonctionner. La proposition pour garder l’indépendance vis à vis des tiers est de prévoir un augmentation de l’adhésion des ingénieurs aux associations de lauréats et à l’UNIM et SNIM de 30% par exemple qui sera consacrée à cet objectif. Cet aspect est fondamental pour créer une équipe dédiée et pour assurer correctement le suivi des actions et la valeur des réalisations.
5- Organiser des Assises en 2017 au sujet de l’Ordre avec la participation de toutes les parties prenantes et des ordres similaires comme celui de la Tunisie, de l’Egypte de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite. Il y a eu déjà une journée organisé par le SNIM dans ce sens en 2009 mais il est important de faire de cet événement un moyen pour fédérer les ingénieurs autour du projet et pour sensibiliser l’opinion public, les partis politiques, les parlementaires et les élus et les autorités sur le sujet.
6- Communiquer intensivement sur le sujet notamment avec les partis politiques, les syndicats, les entités ministérielles, les bureaux d’étude. Utiliser les réseaux sociaux mais cibler également les médias classiques (TV, Radios et journaux) pour en faire un sujet de société. Il faut également assurer un suivi des événements qui concernent les ingénieurs pour réagir et montrer l’intérêt de l’organisation du métier.
7- Lancer un pétition (en 2017) et une motion de loi (en 2018) en se basant sur les nouvelles lois 64-14 et 44-14 qui entrerons en vigueur une fois publiées dans le Bulletin Officiel et qui permettent de lancer une pétition (avec 5000 signataires enregistrés dans les listes électorales) puis passer à l’étape suivante en déposant une motion de loi (nécessitent 25000 signataires) s’il n’y a pas de réaction des parties prenantes. Ces deux lois sont des moyens de pression qui peuvent s’ajouter à la pression médiatique et revendicative.
8- Organiser des manifestations, sit-ins voire grèves si les parties prenantes sont indifférentes aux propositions et aux actions précédentes. Très souvent les autorités ne comprennent que le langage de la force et c’est ce qui a été démontré l’année dernière avec les manifestations des médecins et des enseignants stagiaires.
9- Lancer quelques services de l’ordre indépendamment de l’avancement du sujet au niveau législatif et revendicatif. Ceci permettra de souder le corps des ingénieurs et également de montrer la valeur par l’exemple. Un registre des ingénieurs peut être lancé dès 2017. Prévoir en 2017 et 2018 la négociation de services sociaux à valeur ajouté (retraite complémentaire, assurance maladie pour les freelances…etc) ou de réduction sur des services existants pour les ingénieurs (club de sport, voyages…etc) en joignant les forces des différentes représentations. Lancer à partir de 2018 des projets de logement en capitalisant sur des projets déjà existants à Rabat et Casablanca et éventuellement en 2019 un club ou une fondation pour les ingénieurs. Cet avancement permettra d’une part de préparer le terrain pour l’ordre et d’autre part de renforcer la légitimité et la crédibilité de la revendication
10- Sensibiliser les ingénieurs et créer un mouvement de société et un consensus autour du sujet entre ingénieurs, écoles d’ingénieurs et professionnels (Fédération des Bureaux d’Etudes CGEM….etc). Dans ce cadre, il est important de participer au niveau des forums des écoles (pour les futurs ingénieurs), dans les salons professionnels et dans les activités des associations et syndicats pour créer et maintenir la dynamique.
En conclusion, il faut noter qu’un tel projet nécessite une unification des efforts, beaucoup de sacrifices, énormément de bonne volonté et d’abnégation mais le résultat pour les générations à venir, pour les écoles d’ingénieur et pour l’économie du pays vaut largement tout les sacrifices.
Nous avons été une génération qui a subi la médiocrité et qui a contribué dans l’individualisme et la division. Essayons de nous rattraper. Soyons conscient de notre devoir et assumant nos responsabilités pour léguer autant soit peu à nos enfants et aux futurs ingénieur une situation meilleure.